Je ne sais pas si c’est une particularité qui m’est propre, mais il y a de ces livres que je peux faire patienter dans ma liste de lectures à faire pendant des mois. La raison en est simple : je sais d’avance que j’adorerai les dévorer. Je repousse ainsi le moment où je tournerai la dernière page et que je n’aurai plus la perspective de les lire pour la première fois. De ces lectures, il y avait Il n’y a pas que le foot dans la vie... En 2014, l’illustre Guy Roux publie les mémoires de sa très longue carrière aux éditions L’Archipel.
Guy Roux est l’un des entraîneurs français les plus emblématiques du football. Par sa longévité, il officie de 1961 jusqu’en 2007, par son attachante personnalité, mais aussi par son palmarès dans l’élite du football français. Il est une personnalité publique, longtemps l’une des préférées des Français. Son parcours est très riche à la fois au niveau du football, mais aussi en terme de rencontres, d’expériences médiatiques et d’aventures. Entre anecdotes et réflexions sur la société, il embarque le lecteur pour un voyage à travers le temps qui s’étale de la Deuxième Guerre à la France d’aujourd’hui.
En 2013-2014, la popularité du gouvernement Hollande est au plus bas dans les sondages. La 100è édition du Tour de France de cyclisme se dispute au mois de juin et juillet. Et le Paris Saint-Germain est champion de France de football pour la première fois depuis que le club a été racheté par le Qatar Investment Autority. Guy Roux, lui, occupe le poste de consultant pour la chaîne de télévision Canal+ et sur les ondes d’Europe 1.
Se servant du football comme fil conducteur, il relate les faits marquants de sa carrière dans le monde du ballon rond bien sûr, son enfance heureuse bien que modeste, la passion du cyclisme que lui a transmise son grand-père, ses relations avec bon nombre d’hommes d’État ainsi que son attrait pour l’écriture, la comédie et la narration. Grâce à ses récits, on assiste à la libération de la France, on est attablé avec Fidel Castro et on disserte sur le sens de la vie et de la mort. Tantôt avec humour, tantôt avec profondeur. Mais jamais moralisateur. Il nous distille ses réflexions sur les enjeux de société tels la religion musulmane, les syndicats, la notoriété publique. On peut clairement affirmer que Guy Roux a su s’harmoniser avec l’évolution de la société.
Tout n’a pas été rose pour autant dans le cheminement du natif de Colmar. Entre rivalités, divergences idéologiques et destitutions, l’auteur joue la transparence à propos de ses mésaventures et des conflits qui ont pu émailler son chemin. Plus affecté encore, il évoque la mort de son grand-père auprès de qui il a tant appris, la perte de quelques compagnons de route, ainsi que son propre combat contre le poids du temps.
Par ses mémoires, on inspecte le personnage au-delà de sa bonhommie caractéristique. On découvre quelques-uns des épisodes qui ont façonnés ce grand homme. Et on partage ses souvenirs, avec juste ce qu’il faut de nostalgie.
Les 300 pages du livre sont organisées en 30 chapitres. 30 épisodes marquants d’une vie riche en émotions. Chaque chapitre est indépendant des autres. Il est donc aisé d’en faire la lecture sur de courtes périodes. Pourtant, on se retrouve facilement à enchaîner plusieurs chapitres de suite. À l’intérieur de chaque chapitre, on retrouve 2 à 4 sous-chapitres introduits à chaque fois par un titre accrocheur. Ainsi pour le premier chapitre « Et une coupe pour finir! », les sous-chapitres sont intitulés « Les Blancs à droite, les Noirs à gauche », « Une sacrée aventure pour Bonaventure », « Vol retardé pour Johannesburg » et « Terminer en beauté ».
Chaque chapitre se situant aussi dans une période de temps bien spécifique, l’auteur ne s’encombre d’aucun ordre chronologique. On passe des années 2000, à ses débuts en tant qu’entraîneur en 1961, pour ensuite tomber dans la période de gloire de l’AJ Auxerre, son club de toujours, dans les années 90. Guy Roux a traversé tellement d’époques que son livre pourrait très bien passer pour un manuel de l’histoire récente de la France. On plonge dans les événements relatés comme si on y était. On réalise du même coup l’évolution technologique et morale effectuée par notre société. Si on connaît un minimum le personnage, on aura remarqué qu’il se plaît à rappeler des anecdotes dans ses interventions radios et télévisées afin d’illustrer ses réflexions. La structure de son livre est similairement construite : une introspection agrémentée d’une flopée d’anecdotes.
La formule des histoires courtes fonctionne à merveille. On s’imagine sans peine être une fois dans la peau de Guy Roux en train de revivre ses aventures et une autre fois, plus en retrait, en train d’assister à la scène en tant que spectateur. J’attribue volontiers à ce monsieur les pouvoirs d’un très grand conteur. Autant à l’oral que plume à la main. Il sait manier les mots et parvient à faire appel à toutes sortes d’images pour illustrer ses propos. Ainsi compare-t-il ses joueurs à des pièces d’un jeu de dames pour exposer la façon dont ils se regroupent instinctivement à table : « J’aurais pu jouer aux dames, avec eux. Les Blancs se regroupaient à droite, les Noirs à gauche ». De plus, il fait mine d’un certain trait d’humour et d’autodérision qui le rend très humain : « […] Mwaruwari Benjani me faisait face. Il parlait un mauvais anglais qui présentait un immense avantage à mes oreilles : je le comprenais ». Quand la situation s’y prête, il n’hésite pas à faire ressurgir son caractère exagérateur en grossissant les traits par l’usage de gradation ascendante : « J’avais tout donné pour l’AJ Auxerre depuis 1961, pour que le club existe, qu’il grandisse, qu’il monte, qu’il se maintienne, qu’il progresse, qu’il gagne, qu’il brille ». En ces mots, il récite mieux que quiconque l’histoire du club bourguignon, intimement liée à l’évolution de son propre parcours.
Comme je le mentionnais au début, et en connaissant l’aisance et le talent de narrateur du personnage, j’étais enthousiaste, depuis la sortie du livre, à l’idée de lire les meilleures histoires de Guy Roux. J’ai été servi! En bonus, par ses souvenirs, l’auteur réussit le tour de force de me plonger dans la nostalgie de ma propre enfance : « J’ai eu le bonheur d’avoir mon premier vélo en guise de récompense pour mon brevet ». Son récit a également cette faculté de nous rappeler par où on est passé avant d’arriver à ce qu’on appelle aujourd’hui la modernité :
Quatre ans plus tard, je me débrouillai autrement pour suivre la Coupe du monde, organisée en Suède. […] Arrivé à Bellac, sur une colline qui surplombait la ville, j’avais laissé traîner mon regard en contrebas vers deux maisons qui se distinguaient des autres. Elles étaient toutes les deux équipées d’un « râteau » sur leur toit. L’une d’elles appartenait à un pharmacien. J’avais frappé à sa porte pour lui demander si je pouvais entrer chez lui afin de regarder la télévision. Il accepta très gentiment, me fit entrer et je pus ainsi admirer l’équipe de France de 1958.
J’ai écouté le compte-rendu du premier Tour de France de l’après-guerre, en 1947, place de la Liberté, à Appoigny, devant la boutique du cordonnier du village, celui-là même qui prenait soin de notre ballon de football à lacets. Il réglait sa TSF à fond et nous nous laissions guider par la voix grésillante de Georges Briquet.
Ce livre, le troisième signé Guy Roux, parlera en premier à ceux qui connaissent le monsieur pour sa carrière footballistique, ses apparitions publicitaires ou même par la marionnette à son effigie dans Les Guignols sur Canal+. Pourtant, comme il le mentionne dans sa prologue, « [q]u’il ait 7 ou 77 ans, [s]on ‘ public ’ est vaste. Au-delà des générations et des conditions sociales, c’est à lui [qu’il veut s’]adresser, avec ce livre de souvenirs qui s’étirent sur un demi-siècle ». Accessible, simple et travaillé à la fois, ce recueil, plus que sur le football, renseigne sur tout ce qu’il y a en dehors. Tant de rencontres qui font apprécier la vie autant que le football.
Bibliographie :
- Roux, G. (2014). Il n’y a pas que le foot dans la vie… L’Archipel