Quelques mois après les élections présidentielles américaines, c’est au tour de la France de porter attention à ses propres candidats à la présidentielle d’avril et mai 2017. Les primaires terminées, les différents candidats ont dévoilé leur programme et entrent en campagne. Ce que l’on peut affirmer, c’est que les partis engagés pour cette édition 2017 fourmillent d’idées pour séduire les électeurs. Parmi celles-ci, le revenu universel proposé par le Parti socialiste de Benoît Hamon fait grand bruit. Le sujet divise, mais la proposition a permis à l’ancien ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de sortir vainqueur de la primaire citoyenne au mois de janvier. Pourquoi le revenu universel suscite de l’engouement autant qu’il stimule de l’hostilité ?

Qu’est-ce que le revenu universel ?

Le revenu universel, ou revenu de base, consiste en l’octroi d’un montant d’argent fixe, sur une base individuelle, à tous les citoyens sans distinction ni condition. Cette somme correspond à un revenu nécessaire à un individu pour combler ses besoins primaires. Il viendrait donc s’additionner à tout autre revenu de travail.

Globalement, c’est une mesure qui vise à endiguer la pauvreté, valoriser les engagement et activités non rémunérateurs comme le bénévolat, faciliter l’accès à l’aide sociale et en baisser les coûts administratifs pour l’État, ainsi qu’à encourager la prise de risque, le démarrage de projets à rendement sur le long terme et le développement par les études et les formations de compétences avancées.

Un moteur de développement pas dépourvu de risque

Il est important de souligner le caractère inconditionnel du revenu universel. En d’autres termes, chaque citoyen est admissible sans devoir être en emploi ni en recherche d’emploi et sans avoir à fournir quelque justification que ce soit. Autant les riches que les moins bien nantis en seront bénéficiaires. Ce système est porté à contribuer au développement humain dans le sens où il libère une société dont l’activité principale est le travail. En étant assuré d’un revenu social garanti, on aurait davantage de temps à consacrer à la famille, aux loisirs, aux relations sociales, au repos et à la santé, sans que cela nous empêche de travailler à notre convenance afin de nous enrichir comme bon nous semble.

Force est de reconnaître que ce sont là des points positifs indéniables. On est toutefois en droit d’émettre quelques réserves sur l’efficacité du système. La principale crainte est qu’un tel revenu garanti n’incite à l’oisiveté et ne mette à mal la valeur du travail. Effectivement, il n’est pas à exclure qu’une partie de la population, aussi minime soit-elle, se contentera de ce minimum de subsistance et ne cherchera pas à occuper un emploi stable. Pourtant, cette dérive s’applique déjà avec notre système d’aide sociale actuelle. De plus, l’être humain est de nature à vouloir toujours plus et cherche toujours à combler davantage de besoins. On est amené instinctivement à améliorer notre condition. Il n’y a pas de doute que la quasi-totalité de la population continuera à exercer une activité rémunératrice pour pouvoir subvenir à tous ses besoins.

La question du financement

Après l’analyse du bien-fondé du revenu de base, la seconde interrogation qui vient à l’esprit de tout un chacun est celle de son pragmatisme, c’est-à-dire les sources de financement et les moyens de mise en place de cette mesure. Comment l’État pourrait-il financer un tel soutien ? D’où proviendrait un tel budget ?

Bien évidemment, il n’y a pas qu’une seule solution possible. Plusieurs pistes de possibilités sont évoquées. Dans son intervention à L’Émission politique sur France 2 le 8 décembre 2016, Benoît Hamon a énuméré les quatre pistes qu’il envisage. Celles-ci, en plus de la possibilité d’instaurer le revenu de base en lieu et place des diverses allocations sociales existantes, comprennent la modification de l’impôt sur le revenu, l’impôt unique sur les actifs nets, la lutte contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale, ainsi que la levée d’une taxe sur les machines qui créent de la richesse.

La formule qui revient le plus souvent auprès des défenseurs du revenu universel est celle de rendre obsolète les allocations multiples (allocation familiale, assurance-chômage, aide au logement, …) pour les fusionner en un seul montant garanti pour tous. Les autres voies, bien que ne faisant pas l’unanimité, ne sont pas insensées pour autant. La modification de l’impôt sur le revenu présente comme cible le taux d’imposition plafonné. L’impôt unique sur les actifs nets s’appliqueraient sur l’ensemble du patrimoine des ménages et des sociétés. C’est une mesure assez cohérente dans un programme politique socialiste. L’évasion fiscale et la fraude fiscale représentent un manque à gagner substantielle pour un État. Quant à une taxe sur les robots, elle concernerait les machines qui créent de la richesse tout en supprimant des emplois, notamment dans le secteur industriel et des services.

Une taxe sur les robots

La menace de la robotisation qui fond sur les emplois non qualifiés est réelle. Là où de nouveaux métiers liés au numérique et à l’industrie robotique se créent, ils ne sont pas assez nombreux pour rééquilibrer la balance face aux suppressions d’emplois. Constat partagé par Elon Musk lors du World Government Summit 2017, lui aussi attentif à la nécessité d’un revenu universel de base (Davis et Lindzon, 2017). De plus, alors que l’activité de chaque travailleur rapporte de l’argent à la caisse de l’État par le biais de l’impôt sur le revenu, l’utilisation de machines à la place d’une main d’œuvre est actuellement exempte de taxe significative. Cette situation est certes profitable pour les entreprises, mais elle risque à terme de contribuer à la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs et ainsi fragiliser la circulation de la monnaie dans l’économie. Plusieurs acteurs politiques et économiques voient une logique dans cette réforme de la fiscalité. C’est le cas de Bill Gates qui, dans une entrevue accordée à Quartz (février 2017), soutient que les biens et services qui découlent du travail des machines doivent être soumis à une taxation de niveau équivalent à la contribution fiscale des travailleurs qu’elles remplacent. Les bénéfices de l’automatisation doivent profiter à tous et non pas nuire aux travailleurs humains.

À l’autre extrémité, les opposants de la taxe sur les richesses créées par les robots voient en cette proposition un frein à l’automatisation et à l’avancement technologique. Ce qui constituerait un retard de l’État en question face à ses concurrents.

Les premiers pas effectués

L’instauration d’un revenu de base semble donc réfléchie et les pistes pour alimenter ce système existent. Sont-elles réalistes ? Les expériences qui ont été effectuées sont encore trop peu nombreuses pour pouvoir être catégorique.

De 1974 à 1979, la ville de Dauphin, au Manitoba, a expérimenté le revenu minimum garanti au moyen du programme Mincome (Bargain, 2016). Evelyn Forget, chercheuse au Département d’économie de l’Université du Manitoba, présente un constat loin d’être négatif. Les gens n’ont pas arrêté de travailler. De plus, elle relève une baisse des taux d’hospitalisation au cours des cinq années de l’expérimentation.

Ce programme date cependant de 40 ans. Il serait inadéquat d’en transposer les résultats à notre économie actuelle. Plus récemment, la Finlande teste depuis le début de l’année 2017 le revenu universel (Geoffroy, 2017). 2000 citoyens sans emploi ont été tirés au sort pour faire partie du programme pendant deux ans et ainsi recevoir un montant de 560 euros par mois (736$). Durant ces deux années, l’État comparera le cheminement de ces sujets à celui de 2000 autres qui, eux, bénéficient des prestations sociales traditionnelles. Le projet vise notamment à simplifier le système des aides sociales et à inciter les demandeurs d’emploi à être plus entreprenants et plus ambitieux quant à leurs conditions de travail et leur prétention salariale.

Plus proche de nous, l’Ontario va tenter elle aussi l’expérience du revenu minimum garanti comme moyen de lutte contre la pauvreté et d’accès à la santé, le logement et l’emploi. Les premiers rapports arriveront donc prochainement, même si les tests ne sont pas encore portés à grande échelle. Il faut bien quelqu’un pour faire les premiers pas pour inciter les autres à suivre.

Un grand défi pour la prochaine décennie

Le principal argument de campagne de Benoît Hamon est-il assez solide en l’état pour faire du candidat socialiste un prétendant sérieux à l’Élysée ? Il semble l’être suffisamment assez pour convaincre les électeurs de la gauche. C’est par ailleurs un projet qui n’entrera pas en vigueur du jour au lendemain. Il faudra bien des étapes et des années avant que le revenu universel ne voie le jour. Advenant sa victoire aux élections, le premier quinquennat de Benoît Hamon ne sera certainement pas suffisant pour mettre en place une telle entreprise. Contrairement au gouvernement québécois qui affirmait se pencher sur le cas mais qui ne semble pas prêt à « bousculer toutes les mesures sociales mises en place depuis les années 60 » (Fragasso-Marquis, 2016), il faudra préparer le terrain et oser se mouiller un jour ou l’autre.

Le revenu universel n’est pas une promesse électorale. C’est une ambition commune de ceux qui y croient. C’est une opération au long cours. Il ne faudra pas taper sur les doigts des pionniers qui ouvriront la voie et qui essuieront les premiers écueils. Oui, le revenu universel est réalisable. Toujours est-il que 2017 n’est pas encore l’année pendant laquelle on le verra se concrétiser. On peut néanmoins se réjouir d’être une société dans laquelle telle mesure sociale est au cœur du débat.

 

Bibliographie :